LECOURRIER - Genève
JEUDI 3 DÉCEMBRE 2015
CHRONIQUES DE RÉSISTANCE
Matin brun
PA R
BRUNO CLÉMENT
Animateur en éducation populaire.
Un mauvais vent souffle sur l’Europe. Vingt-six ans après la chute du mur de
Berlin, une partie des Etats couvrent leurs frontières d’autres murs et de barbelés,
tous
adoptent des législations anti-immigrés et antiréfugiés et l’Union
européenne renforce les capacités policières de Frontex dans cette
odieuse guerre contre les «migrants»!
Dans
le même temps, les partis d’extrême droite se développent jusqu’au cœur
des sociétés et engrangent à chaque consultation des scores électoraux
en hausse. Cyniquement, les partis de la droite traditionnelle font
assaut de suivisme pour tenter de garnir à leur tour leur besace
électorale. Mais, et c’est affligeant, la social-démocratie non
seulement ne combat pas ces dérives, mais ne reste pas indifférente aux
sirènes réactionnaires, voire leur emboîte le pas comme on vient de le
voir en France où les seules réponses données par la gauche au pouvoir
(«la voleuse de rêves», comme la nomme le dessinateur Plantu2) aux
attentats de Daech sont d’ordre sécuritaire et militariste!
Soyons
clair: ce à quoi nous assistons, c’est bel et bien une résurgence du
fascisme sur un mode contemporain avec les mêmes ingredientes
nauséabonds des années
1930:
surfer sur les inquiétudes diffuses d’un grand nombre de gens devant
l’incertitude des temps, désigner des boucs émissaires – hier le juif,
aujourd’hui l’Arabe, le musulman, le Rom – nourrir les peurs, déchaîner
la xénophobie, flatter une prétendue «pureté» des peuples «de souche»
contre les nouveaux «aliens».
Le
retour des «chemises brunes» ne peut être évidemment séparé du contexte
social que nous vivons depuis plusieurs années. On constate ainsi, mois
après mois, une augmentation du chômage, l’extension de la précarité,
voire de la pauvreté (la multiplication des «restos du cœur» et de leurs
homologues en est un signe alarmant!), et l’accroissement des
inégalités sociales. La désespérance se répand accompagnée de pertes de
repères, de repli sur soi et de crispations identitaires aussi
simplistes que mystifiées. En parallèle, l’air du temps ne parle que
compétitivité, flexibilité, performance, rentabilité et innovation.
L’indifférence sociale à l’égard des laissés-pour-compte se mélange avec
un consumérisme hédoniste dans une société du spectacle avec la
«pipolisation» de la vie politique, l’envahissement de l’espace public
par la pub et la contamination des imaginaires par la marchandise. Face
à ces phénomènes, la gauche institutionnelle est en déroute, ayant
perdu toute vision, tout souffle, tout horizon de contestation,
passant
de renoncements aux reniements, faisant ainsi le lit des droites
autoritaires et larguant celles et ceux qui se revendiquaient de ses
valeurs, de son histoire et de ses projets. Pourtant, dans ce
clair-obscur qui caractérise cette période d’entre deux, quando le vieux
est mort et le neuf pas encore né (Antonio Gramsci), on voit aussi de
plus en plus de collectifs se former agissant sur de multiples champs
sociaux, le développement de résistances multiformes et l’accroissement
d’expérimentations alternatives.
Le
néofascisme croît sur la peur et la haine des autres, de l’autre, et
ces comportements trouvent leurs racines dans l’amertume, le sentiment
d’abandon et
la
haine de soi. Face à ces dérives, mais aussi ces souffrances non dites,
les militants d’aujourd’hui sont appelés à entendre les émotions, même
biaisées et nstrumentalisées, pour en faire un matériau d’action
culturelle. Il nous faut le courage en toutes circonstances de «dire
non» comme l’affirme Edwy Plenel, direc-
teur de Médiapart 3 , tout en retrouvant la fierté de «la mystique socialiste», comme la designe le philosophe Marc Crépon4.
Devant
le fascisme, nous sommes appelés à vivre nos solidarités et ouvrir les
mains à l’autre, nous mettre debout, seul et en groupe, agir,
manifester, construire des liens, chanter, aimer!
Dans
ce temps de l’Avent qui commence, ayons de la tendresse pour nous-mêmes
et pour les autres, elle est un antidote précieux et efficace contre la
haine car, comme le dit Aimé Césaire, «il n’est pas question de livrer
le monde aux assassins d’aube».
1 - Titre du petit livre-parabole de Franck Pavloff, Cheyne éditeur, 1998.
2 - Voleuse de rêves, Plantu, Editions du Seuil, novembre 2014.
3 - Dire non, Edwy Plenel, Editions Don Quichotte, mars 2014.
4 - La gauche, c est quand?, Marc Crépon, Equateurs, octobre 2015.
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