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Pax Americana
Le service de recherche du Congrès, « Congressional Research Service », CRS, une agence fédérale américaine, dont les rapports étaient encore réservés à l’usage exclusif des députés jusqu’en 2018, vient de publier sur son site internet une liste des « circonstances dans lesquels les Etats-Unis d’Amérique ont déployé leurs forces armées dans un pays étranger entre 1798 et 2022 ». (1)
On compte en tout 469 interventions, dont presque la moitié, 251 interventions, tombe dans la période entre 1991, la fin de la Guerre froide, et 2022. (2) Il est intéressant de constater que pendant toute la période examinée, le Congrès américain avait formellement déclaré la guerre à une autre nation à 11 reprises, lors de cinq conflits armés, soit la guerre contre la Grande-Bretagne en 1812, la guerre contre le Mexique en 1846, la guerre contre l’Espagne en 1898, la Première guerre mondiale contre l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois en 1917, la Deuxième guerre mondiale contre le Japon, l’Allemagne et l’Italie en 1941 et contre la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie en 1942. On ajoutera, pour compléter le tableau, que la guerre hispano-américaine de 1898 fut déclenchée suite à un attentat, supposément commis par l’Espagne le 5 février 1898, contre le cuirassé américain USS Maine, mouillé au port de la Havane, incident exploité à outrance par la « yellow press » du magnat américain William Randolph Hearst, « Remember the Maine, to hell with Spain », qui s’était finalement avérée être un accident.
Au même tire on relève les incidents du golfe de Tonkin de 1964, un échange de tirs entre des torpilleurs nord-vietnamiens et deux destroyers américains, présentés au Congrès et au Président Lyndon B. Johnson comme une attaque du régime du Président nord-vietnamien Hô Chi Minh contre les vaisseaux de guerre américains, menant à la résolution du Golfe de Tonkin, dans les tiroirs de l’administration Johnson depuis quelque temps déjà, voté par le Congrès américain, donnant au Président les pleins pouvoirs de « prendre toutes les mesures nécessaires afin de répondre à des attaques contre les forces américaines », permettant de déployer jusqu’à 543'000 militaires au Vietnam. A l’instar de l’incident de l’USS Maine au mois de février 1898 dans le port de la Havane, à aucun moment les forces nord-vietnamiens avaient effectués une première frappe contre les vaisseaux américains, comme allait le révéler un rapport de la NSA en 2005.
La grande majorité des « casus belli » réels ou supposés, énumérés par le centre de recherche avaient été signalés au Congrès par le président rétrospectivement, en vertu de la Loi sur les pouvoirs de guerre, voté par le Congrès en 1973 (War Powers Resolution). (3)
En effet, la Loi sur les pouvoirs de guerre vise à « encadrer » les pleins pouvoirs du Président d’engager la nation dans un conflit armé, sans l’aval du Congrès au préalable. Celle-ci oblige néanmoins le président d’informer le Congrès dans un délai de 48 heures après le début des hostilités et interdit à celui-ci d’étendre les opérations de combat au-delà d’un délai de 60 jours sans l’aval du Congrès, en tenant compte d’un délai supplémentaire de 30 jours pour le retrait des troupes.
La loi (joint resolution), adoptée par les deux tiers des votes du Sénat et de la Chambre des Représentants au mois de juillet 1973, malgré le véto du Président Richard Nixon, fut pourtant outrepassée à de nombreuses reprises par la suite, malgré de nombreuses réprobations et vociférations par les députés, notamment l’intervention conjointe avec l’OTAN autorisée par le Président Bill Clinton dans l’ex Yougoslavie en 1999, en Lybie en 2011 par le Président Barack Obama et en Syrie, où les troupes américaines continuent à occuper un tiers du territoire, au Yémen, par le soutien militaire des forces saoudiennes (2018 / 2019), ainsi qu’en Iran par l’autorisation du Président Donald Trump de l’assassinat du général Quassem Soleimani en 2020, pour ne nommer que quelques exemples.(3)
La liste du service de recherche du Congrès ne tient pas compte des nombreux cas, dans lesquels des forces américaines étaient ou sont encore stationnées, en guise de troupes d’occupation, suite à l’issue de la Deuxième guerre mondiale, ou dans certains pays, dans le cadre d’accords de collaboration ou de formation militaire dans le domaine de la sécurité intérieure.
Ne sont pas comptés non plus les nombreuses opérations clandestines des services secrets, visant à fomenter des coups d’états et autres opérations de changement de régime (révolutions de couleur), notamment en Amérique Latine, mais également en Afrique et en Asie.
Ne figure donc pas sur la liste le coup d’état du 19 août 1953, orchestré par la CIA et le service secret britannique MI6 contre le Président iranien Mohammad Mossadegh, pour avoir nationalisé l’industrie pétrolière iranienne, ni celui du 11 septembre 1973 contre le Président élu du Chili, Salvador Allende, dans le but d’instaurer une dictature militaire, favorable aux intérêts économiques des multinationales américaines, responsable de 38'000 cas de torture, ni le soutien militaire et financier à des contre-révolutionnaires (contras) nicaraguayens entre 1981 et 1990, causant la mort de 60'000 civils.
Le soutien logistique et militaire américain, qui avait porté au pouvoir le général indonésien Haji Mohamed Suharto au mois d’octobre 1965, coup d’état ayant causé la mort d’un demi-million d’activistes communistes et syndicalistes, n’est pas mentionné, pas plus que le soutien au régime d’apartheid sudafricain et l’infiltration par la CIA de l’ANC (African National Congress) qui avait permis l’arrestation du combattant anti-apartheid Nelson Mandela, le 5 août 1962, ni le programme secret de la CIA « Timber Sycamore » entre 2012 et 2013, approuvé par le Président Barack Obama, consistant en l’approvisionnement en argent et armes des forces rebelles anti régime Assad dans la guerre civile syrienne.
En conclusion on constate un paradoxe tout de même, sans doute propre à la culture américaine. D’un côté il y a une accessibilité inégalée aux informations, que ceux-ci soient fournis d’office par les agences gouvernementales elles-mêmes ou par le biais du « Freedom of Information Act », une loi, signée en 1966 par le Président Lyndon B. Johnson, sur le principe du droit à l’information qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande, quelle que soit sa nationalité, soit par le citoyen lambda, soit par de rares journalistes d’investigation se servant de ce privilège pour mener leur propre enquête et de l’autre côté, il y a une machinerie de propagande médiatique sans pareille. A moins que le premier rende nécessaire le dernier.
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