Marx antimarxiste? par Floréal
La vieille manœuvre révisionniste consistant à opposer Marx (le génie incompris) à Engels (le lourdaud dogmatique et vulgarisateur), puis à les opposer tous deux au brutal Lénine, à la première expérience socialiste mondiale de l’histoire et à l’action du Parti communiste français (“mutation” exclue) connaît de nouveaux avatars sur nos grands médias.
Les variantes de cette castration politico-idéologique sont diverses:
- aux économistes, on expliquera que Marx est certes un grand philosophe, mais qu’en économie il est DÉ-PAS-SÉ; tandis qu’on dira aux philosophes que Marx possède une certaine pertinence “critique” en économie mais que, décidément, il n’a rien d’un “philosophe”;
- au demeurant, le “marxisme” n’existe pas, c’est un artefact d’Engels, de même que le “marxisme-léninisme” (ce marxisme de l’époque impérialiste) n’est qu’une création douteuse de l’affreux Staline (chef de file de cette “Russie soviétique” dont De Gaulle déclarait en 1944 que “elle a joué le rôle principal dans notre libération”)…
- ce qu’il y a de bon chez Marx, pour nos “marxistes” modernes et boboïsés, c’est son élan “utopique” et “critique”; surtout, plus jamais de parti communiste démocratiquement centralisé (alors que l’œuvre la plus connue de Marx ET d’Engels s’intitule “Manifeste du Parti communiste“…), plus de cellules d’entreprise compliquant la vie des patrons et des syndicalistes jaunes, plus de syndicalisme CGT de classe et de masse, plus d’Internationale communiste, et surtout, surtout, plus de camp socialiste mondial défendant la paix et tenant la dragée haute au capitalisme-impérialisme mondial; stupidité profonde quand on sait le soin qu’ont mis Engels et Marx à se dégager des naïvetés réformistes ou anarchistes du “‘socialisme utopique”!
- Marx n’aurait rien à voir en politique avec la “terreur” que, bien ou mal selon les temps ou les lieux, les expériences prolétariennes de prises du pouvoir, de la Commune de Paris à Cuba en passant par l’URSS, la Chine, la RDA ou le Vietnam, ont dû exercer pour défendre la révolution contre les menées de la réaction interne et de l’impérialisme extérieur. Pas de chance pour les faussaires du marxisme réel, dans une lettre à Weydermeyer de 1852, Marx expliquait déjà que son apport propre en politique n’était pas d’avoir découvert la lutte des classes mais d’avoir démontré que la dictature du prolétariat est indispensable pour organiser la transition du capitalisme au communisme…
- la dialectique de la nature et l’ontologie matérialiste, sans lesquelles pourtant il est impossible à la philosophie moderne, se déclarât-elle matérialiste, d’épouser le mouvement des sciences modernes qui, non seulement en anthropologie mais en physique/chimie, en cosmologie, en biologie, en anthropologie, voire en maths, ne cesse de confirmer l’idée d’Engels que “en dernière analyse, la nature procède, non pas de manière métaphysique, mais de manière dialectique” (idée que Lénine, grand relecteur matérialiste de Hegel exprimera sous la forme ramassée: “la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses”.
- après avoir “épuré” le marxisme de son socle ontologique déclaré “pré-critique” (comme si le “criticisme” kantien n’avait pas à son tour été critiqué ontologiquement par Hegel…), on aura alors beau jeu de tordre le cou, en histoire, au matérialisme historique (“grossier”, “unilatéral”, “mécaniste”) dans la mesure où ce dernier est explicitement fondé par Engels ET PAR MARX sur la dialectique de la nature et sur l’examen de l’ÉVOLUTION des pré-hominiens (celle-ci confère aux Sapiens un dispositif corporel fondé sur la bipédie, le développement couplé de la main et du cerveau, la phonation, etc., qui leur permet de “produire leurs moyens d’existence”; et à travers ce “mode de production”, de constituer l’héritage culturel et de modifier ce faisant l’ “essence humaine” qui cesse alors d’être une “nature” principalement biologique et instinctuelle, et qui jette l’homme dans l’espace d’une historicité au moins possible);
- dans le domaine des théories de la connaissances, il faudra aussi “purifier” le marxisme de la notion de “reflet”, déclarée… anti-dialectique et mécaniste, alors que Marx démontre de manière éblouissante sa dialecticité profonde dans son Introduction de 1857 à la méthode des sciences économiques, rattachant même la dialectique du reflet (passant du concret intuitif au concret de pensée de la science en passant par l’abstrait) à la dialectique du réel (la généralisation et l’abstraction ne sont pas que des procédés mentaux…).
Eh bien nous qui sommes fiers de nous réclamer de l’orthodoxie marxiste, nous à qui aucun média “philosophique” ou historique ne donne jamais la parole, nous sommes fiers d’accepter Marx en bloc (ce qui ne veut pas dire de manière acritique) avec ses ASPÉRITÉS. Sans le couper d’Engels, son partenaire théorique et politique de chaque instant, un homme fin qui connaissait du dedans le prolétariat et le fonctionnement du capitalisme, qui parlait douze langues, un spécialiste des sciences militaires, un pionnier de l’anthropologie et de la lutte féministe, un homme qui était certainement plus au courant de l’état réel de la physique, de la cosmologie et des SVT de son temps que ne le fut, par ex. de l’état des sciences de sa propre époque, un Auguste Comte, fondateur du positivisme aujourd’hui dominant.
Laissons donc aux néo-marxistes et autres saucissonneurs du marxisme la tâche peu reluisante de “rénover” le marxisme en l’édulcorant et en se coupant totalement de la tâche de reconstruction des partis communistes littéralement vitale pour notre époque. Et continuons à montrer par nos écrits que, si le matérialisme dialectique de Marx, d’Engels, de Lénine et de Politzer, n’est pas l’alpha et l’oméga des “lumières communes” vitales pour l’humanité future, celles-ci sont et seront une proie facile pour la réaction et l’obscurantisme si elles se privent de ce socle de rationalité critique et expérimentale qu’est la dialectique marxiste dans la plénitude de ses champs d’exercice et des pistes de recherche qu’elle porte.
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